Serge Perrot, rhumatologue, est responsable du centre de traitement de la douleur de l’hôpital Cochin (AP-HP) à Paris et auteur de «La douleur, j’en sors» (Ed In Press). En cette journée mondiale de lutte contre la douleur, le professeur note qu’il y a encore beaucoup de progrès à faire dans ce domaine.
Vous refusez le terme «douleur inexpliquée». Pourquoi ?
SERGE PERROT.Parce que c’est faux! Nous ne pouvons pas dire qu’ils sont inexpliqués. Pendant longtemps, nous n’avons reconnu que la douleur dite «nociceptive», responsable d’inflammations telles que la polyarthrite, de maladies telles que le cancer. Avoir de la douleur était nécessairement le signe d’un problème. Puis, il y a vingt ans, nous avons réalisé qu’il pouvait y avoir une douleur inutile. Par exemple, une femme atteinte du cancer du sein a continué de souffrir. C’était dit, ce n’est pas possible, c’est encore guéri. Mais lors de l’intervention, il s’était coupé les nerfs, son circuit électrique de douleur était endommagé. C’est la catégorie des «neuropathiques». Nous avons dû nous battre pour la faire accepter. Et aujourd’hui, un troisième classement appelé «nociplastique» vient d’être enfin reconnu, celui d’un trouble du fonctionnement de la douleur. Chez certaines personnes, ce système est moins efficace que les freins de voiture lâchés. Par conséquent, ils ont une douleur diffuse sans raison. C’est le cas de
fibromyalgie, syndrome du côlon irritable. Dire qu’ils sont inexpliqués, c’est faire de la médecine traditionnelle.
Cette nouvelle forme de douleur est-elle connue des médecins?
Nous avons toujours des difficultés. En médecine, nous aimons les marqueurs: IRM, radios, trouver les causes. Mais vous devez former les médecins. Il y a quelques jours, j’ai expliqué à 500 d’entre eux, aux Entretiens de Bichat, qu’il n’était pas nécessaire de parler de douleurs inexpliquées, de maladies imaginaires, qu’il y avait une explication. Ils étaient très intéressés et réceptifs. Au cours des dix dernières années, les facultés de médecine ont finalement dispensé 20 heures de cours sur la douleur. Ce n’est pas énorme mais mieux que rien. Il existe également près de 250 centres spécialisés dans ce domaine en France. C’est un réel pas en avant.
La douleur n’est plus le parent pauvre de la médecine, comme on l’a souvent dit?
Il reste encore beaucoup de progrès à faire. De nombreux centres de traitement de la douleur vont disparaître faute de ressources dans les hôpitaux. En cas de difficultés financières, nous n’enlèverons pas de service d’anesthésie ni de rhumatologie, mais le premier objectif est le nôtre! Mes collègues me disent parfois que ce n’est pas une spécialité, tout le monde s’occupe de la douleur. C’est faux. Nous sommes ici pour diagnostiquer des maladies rares et peu connues. Il y a encore des patients qui me disent «on m’a dit que je n’avais rien, c’était dans ma tête» alors qu’ils souffrent de lombalgies, de tendinites, de maux de tête. Je leur réponds: c’est dans votre tête bien sûr, c’est le cerveau mais ce n’est pas psychologique. Il y a un dysfonctionnement de la douleur et je leur explique que nous allons essayer de régler à nouveau le thermostat.
Y at-il pas de facteurs psychologiques?
Si. La dépression peut être la cause de ces symptômes. Dans ce cas, je les renvoie à un psychiatre mais je ne nie pas leurs souffrances. Elle est réelle. En France, nous sommes un pays catholique, la douleur est rédemptrice, cela promet un petit coin de paradis. Celui qui se trompe est un fainéant. Vous devez vous débarrasser de cette conception. Cela fait souffrir les malades. Ils demandent à être reconnus.
Devrions-nous mieux traiter la douleur que l’on disait inexpliquée aujourd’hui?
Oui. Les mécanismes de l’algodystrophie, un syndrome douloureux régional complexe, sont mieux compris. Auparavant, nous posions un pansement sur le patient, en lui disant en particulier de ne pas bouger. C’était la pire chose. Au contraire, ils doivent activer. La fibromyalgie est également mieux connue. Les voies de la douleur peuvent être perturbées par les variations hormonales chez les femmes ménopausées ou le sevrage brutal du sport chez les jeunes. Nous utilisons l’hypnose, l’exercice physique, la balnéothérapie et des médicaments pour les traiter. Nous devons cesser de nier la douleur des patients. Cessons de leur dire, c’est dans votre tête!